31 janv. 2014

Le Cirque du Docteur Lao de George Pal (1964)

Nouvelle chronique et nouveau docteur ! Ici il n'est plus question de tyran enlevant des enfants pour assouvir ses fantasmes mélomanes. Place à l'être suprême qui guérit les cœurs et les âmes, qui change d'apparence et opère dans un cirque qui est plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur. Non ce n'est pas Doctor Who mais bien le Docteur Lao !





Avant de parler du film sorti un an après que le plus célèbre des Seigneurs du Temps apparaisse sur les écrans britanniques, soit en 1964, il nous faut nous attarder sur le support originel paru en 1935 : le livre Le Cirque du Dr Lao de Charles G. Finney. En effet, l'adaptation cinématographique est beaucoup plus légère et la fin plus joyeuse que dans le livre. Le Docteur Lao est en réalité le héraut d'un dieu ancien nommé « Yottle » (sans doute une référence à Yaotl) qui emmène son cirque peuplé de créatures mythologiques de ville en ville afin d'accomplir des rituels païens et des sacrifices. Contrairement au film, il n'y a pas de fin heureuse pour les amoureux puisqu'ils sont tués pour célébrer Yottle et le reste des citoyens d'Abalone quitte leur ville et se disperse dans le désert qui les entoure. On est loin du film enjoué de George Pal. Mais l'adaptation est tout de même empreinte de cynisme et de mysticisme.

La ville d'Abalone est une ville américaine typique du début du XX ème siècle. Cette petite communauté semble vivre confortablement de ce qu'elle tire de la terre mais elle reste tout de même éloignée de tout. Clinton Stark (magnifique Arthur O'Connell) veut racheter les terres de tous les habitants afin de leur offrir une chance de vivre dans de meilleures conditions (et pour cause, la voie ferrée va passer par Abalone et les terres seront beaucoup plus chères à son arrivée, mais il se garde bien de le dire à ses concitoyens). Seul le journaliste Edward Cunningham s'oppose à son projet et n'hésite pas à le dire dans son journal tous les jours malgré les menaces de Stark. Cunningham est l'archétype même de l'homme sûr de lui, qui suit ses principes et est terriblement honnête, y compris avec la femme qu'il aime : la veuve Angela Benedict (Barbara Eden, surtout connue pour son rôle du génie Jinny dans Jinny de mes rêves) qui refuse ses avances.,C'est dans ce contexte qu'arrive un singulier personnage à dos d'âne : le Docteur Lao. Dès sa première apparition les spectateurs comprennent qu'ils ont sous leurs yeux un être magique puisqu'il allume sa pipe en utilisant ses doigts comme pierre à briquet.

Les spectateurs sont face à un film qui double les genres : le western et le fantastique. C'est la notion de dualité qui caractérise ce film. Il y a deux faces qui, comme pour le miroir d'Alice, dévoilent deux mondes distincts qui se répondent. Ce qui se passe au cirque a une répercussion dans la ville d'Abalone et vice versa. Les habitants trouvent dans les attractions présentées par le Docteur Lao, une métaphore de leur propre personnalité qui leur montre qui ils sont réellement. Appolonius de Thyane dévoile à Miss Cassan, la vieille fille trop coquette, que tous ses efforts sont vains et qu'elle finira seule. Pan libère les pulsions amoureuses d'Angela Benedict qui refuse les avances de Cunningham par respect pour son défunt mari. Méduse pétrifie Madame Lindquist, la mégère qui tyrannise tout le monde. Elle ne doit la vie qu'à Merlin qui, en lui rendant forme humaine, lui enlève son cœur de pierre. Stark se retrouve face au Grand Serpent qui lui démontre à quel point l'homme lui est inférieur puisqu'il a besoin de vêtement pour ne pas avoir froid, il a besoin de lunettes pour y voir... Stark qui se croit supérieur car en dehors d'une cage ne voit pas qu'il est également enfermé, ses barreaux lui sont juste invisibles. La ville tout entière se retrouve face à la mise en abîme de sa propre histoire puisque le Docteur Lao leur raconte la fin tragique d'une ville antique prospère qui se retrouva détruite à cause de la cupidité d'un homme. Une fois que chaque habitant d'Abalone réussit à surpasser ses défauts, ses peurs, et que la ville est sauvée grâce au repenti de Stark, le Docteur Lao, Mary Poppins asiatique, quitte la ville sans un adieu.

Figure mystique et mystérieuse, le Docteur Lao est lui aussi un parfait exemple de la dualité grâce à l'interprétation de Tony Randall. Cet étrange personnage semble au premier abord être le stéréotype du chinois avec son accent bizarre que l'on peut retrouver dans les interprétations de Mickey Rooney dans Diamant sur canapé de Blake Edward ou pour les plus franchouillards d'entre nous, dans les sketchs de Michel Leeb. Et pourtant. Lorsqu'il se met à discuter sérieusement, il change du tout au tout. Plus d'accent, plus de phrases mal construites. Le Docteur Lao s'exprime dans un anglais irréprochable. Le stéréotype n'est qu'une façade, un déguisement qu'il porte en plus de ceux de ses attractions. En effet, si il part comme Mary Poppins, il se comporte comme n'importe quel super-héros puisqu'il n'est jamais présent en même temps que son attraction:il sort lui-même du cadre avant que la caméra ne change d'angle. Elle pourrait le laisser tel quel dans le plan précédent, mais non, il doit sortir d'abord avant de poursuivre la narration. Ainsi ce n'est pas un hasard si chaque créature révèle la véritable nature de certains habitants puisque le Docteur Lao interagit avec eux avant l'ouverture de son cirque. Il voit leurs défauts, et devine quel personnage pourrait les débloquer mentalement et leur permettre d'atteindre une certain sérénité dans leur âme.

On est donc loin du sacrifice et de l'exode proposés par le livre de Charles G. Finney. Mais si Le Cirque du Docteur Lao n'est pas aussi sombre que l’œuvre originelle, il n'en reste pas moins un très bon film qui non seulement divertit mais aborde aussi différents thèmes comme le changement dans la société américaine et l'évolution que cela inclut (thème cher à Sam Peckinpah que je recommande fortement), la solitude sous toutes ses formes, la liberté de la presse, le racisme... Que l'on soit un enfant ou un adulte, on ne peut qu'apprécier de voir autant de poésie et d'humour dans un film qui traite de thèmes aussi sérieux.

N'hésitez pas, ce film est un petit bijou qui mérite d'être vu. Qui plus est, l'équipe qui gravite autour n'est composée que de talents que ce soit les scénaristes Charles Beaumont (Le Masque de la Mort Rouge de Roger Corman et Brain Dead de Peter Jackson) et Ben Hecht (Scarface de Howard Hughes, La Maison du Docteur Edwardes d'Alfred Hitchcock), le compositeur Leigh Harline (qui a travaillé pour les studios Disney de 1933 à 1941 et qui a créé la musique L'Homme de l'Ouest d'Anthony Mann, entre autres), le responsable des effets spéciaux Jim Danforth (qui travailla avec l'excellent Ray Harryhausen sur Le Choc des Titans), le maquilleur William J. Tuttle (qui était responsable des maquillages de Chantons sous la Pluie de Stanley Donen et Gene Kelly, La Mort aux Trousses d'Alfred Hitchcock et Frankenstein Junior de Mel Brooks), sans parler du réalisateur/producteur George Pal qui a dirigé Les Aventures de Tom Pouce, Les Amours enchantées et La Machine à explorer le temps et produit Le Choc des mondes de Rudolph Maté, La Guerre des Mondes de Byron Haskin et Doc Savage arrive de Michael Anderson.

Une équipe de choc aux nombreuses qualités, c'est la base pour créer un bon film et Le Cirque du Docteur Lao en a une excellente. A vos écrans et profitez du spectacle !

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