Alors je vous préviens de suite.
Contrairement à ce que le nom du film pourrait suggérer, il ne
s'agit pas d'un porno. C'est même tout le contraire. Aujourd'hui je
vais vous parler d'un film pour petits et grands, empli de poésie et
d'onirisme. Tout le contraire d'un porno en somme.
Les 5000 Doigts du Dr. T. nous narre
l'histoire d'un petit garçon, Bart, qui préfère rêver que de
s'exercer au piano. Ceci exaspère évidemment sa mère et son
professeur, le terrible professeur Terwiliker, joué par le
talentueux Hans Conried. Bart considère que ce dernier a hypnotisé
sa mère puisqu'elle l'oblige à pratiquer une activité
qu'il déteste au lieu de le laisser jouer au base-ball avec son chien, ou
parler à son seul ami, le gentil plombier : August Zabladowski.
Pourtant il tient à lui faire plaisir car cette mère inattentive est tout ce qui lui reste. Mais malgré ses efforts, le jeune Bart se rendort et
se retrouve dans un monde terrible : un camp de concentration
pour 500 jeunes pianistes qui devront jouer pour le Dr T. sur un
gigantesque piano capable de faire gigoter 5000 doigts sur son
immense clavier (et bim une explication du titre, une).
Comme vous pouvez le constater, il y a
un renversement de situation et de genre dans ce film. Nous passons
d'une simple histoire d'un petit garçon désobéissant à un voyage
onirique. Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? Un film que
tout le monde connaît. Avec un lion. Un épouvantail. Un homme de
fer blanc. Une cité d'émeraude. Voilaaa : Le Magicien d'Oz !
Les 5000 Doigts... est le digne successeur du chef-d’œuvre de
Victor Fleming. Mais n'allez pas croire que le script est une pâle
copie. Oh que non. Il y a plusieurs différences notables.
Contrairement au film classé au Registre International Mémoire du
Monde de l'UNESCO (si c'est pas la méga classe ça), Les 5000
Doigts... nous plonge directement dans le rêve de son personnage
principal. Nous savons que ce que nous voyons n'est pas la réalité
du jeune Bart mais une élaboration onirique de ses peurs et espoirs
(bien qu'il y ait un twist final qui brise les frontières entre le
rêve et la réalité). Le film a même une introduction qui se
révèle être le premier rêve de Bart où il se fait pourchasser
par des hommes armés de filets à papillons. Le ton est posé. Les
5000 Doigts... est l'enfant du Magicien d'Oz et de Alice au Pays des
Merveilles. Le non-sens et l'absurde s'entremêlent avec la poésie
et l'imaginaire. Est-ce si étonnant lorsque l'on sait que le
scénario a été écrit par le Dr Seuss en personne, l'auteur du
Chat Chapeauté et du Grinch ? A l'instar de Lewis Carroll, cet
homme a pris une pincée d'idiotie, une cuillerée de chimère, et
les a incorporées dans ses œuvres pour en faire des piliers de la
littérature de jeunesse et de la poésie. Car il ne faut pas oublier
que ses textes n'étaient pas en prose mais bien en vers. Si dans Les
5000 Doigts..., les rimes sont oubliées dans les dialogues, on peut les
retrouver dans les multiples chansons qui jalonnent le film. Et oui,
chers lecteurs, c'est un film musical, genre typique des années 50.
D'ailleurs, si l'on omet le côté
surréaliste du rêve, tout est typique dedans. On pourrait le
qualifier de manichéen. Et même carrément de film classique dans
le sens péjoratif. Voire un peu réactionnaire pour nous,
spectateurs bien trop jeunes pour avoir connus La Seconde Guerre
Mondiale et qui vivons dans une société où tous les êtres humains
sont libres et égaux en droits (du moins un peu plus que dans les
années 50 où beaucoup de préjugés faisaient office de lois). Si
l'on regarde bien la trame du scénario, nous nous apercevons que
nous avons l'histoire d'un jeune garçon qui se bat avec son ami
prolétaire pour déjouer les plans du méchant bourgeois et pour
sauver la princesse enfermée dans une tour afin qu'elle échappe au
pouvoir du méchant bourgeois et épouse le gentil prolétaire. Pour
vaincre cet ennemi redoutable et s'échapper du camp de
concentration, le gentil prolétaire et le jeune garçon utilisent...
une arme nucléaire... Quand je vous disais que c'était ultra
classique comme scénario ! Aaaaah les années 50. Même si je
m'arrache les cheveux lorsque je regarde vos productions en
décontextualisant, je vous adore. Avouons-le, ce film est bourré de
maladresse. Le seul personnage féminin est l'archétype de la faible
femme enfermée qui ne peut rien faire sans l'aide d'un homme (et qui
accepte d'ailleurs sans broncher de devenir l'épouse du gentil
prolétaire comme lui ordonne son fils) (mais bon sachant que Peter
Lind Hayes et Mary Healy étaient mari et femme dans la vraie vie,
cela se comprend qu'elle ne rechigne pas), le seul acteur noir joue
le personnage le plus flippant du film : un liftier aux doigts
particulièrement longs, au casque bien trop angoissant, qui énumère
les sévices proposés à chaque étage du donjon.
Et pourtant...
Malgré cela, ce film est l'un des plus beaux et l'un des plus
enthousiasmant que j'ai pu voir.
Rien que pour les chorégraphies. Et en
particulier deux. Je vais sans doute exagérer un tantinet, mais je
considère ces deux chorégraphies comme étant Les Meilleures
Chorégraphies Cinématographiques de l'Histoire du Cinéma ! Et
je peux le prouver.
Tout d'abord, la chorégraphie du
combat d'hypnose.
De un c'est très drôle. De deux c'est minutieux.
De trois, c'est une EXCELLENTE idée ! Je vais quand même
développer. Le Dr. T. tente d'hypnotiser Zabladowski afin que
celui-ci arrête de perturber ses plans machiavéliques. Il se lance
alors dans une danse proche du tango avec le plombier qui suit non
seulement ses pas mais aussi le mouvement de ses mains et de ses
doigts. Ce que le Dr. T. ne sait pas c'est que Zabladowski est un
autodidacte en matière d'hypnose et le combat en lui faisant
effectuer les mêmes pas de danse. Outre son potentiel comique, cette
chorégraphie prouve non seulement les talents de Hans Conried et de
Peter Lind Hayes en tant qu'acteurs complets, mais aussi que Les 5000
Doigts... est un film basé sur l'illusion et sur les rapports de
force. Cette simple danse est en réalité une métaphore de la lutte
des classes ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Quant à la deuxième chorégraphie (qui n'est pas sur Youtube), ce
n'est pas en tant que métaphore qu'elle détrône toutes les autres
qui ont pu être montrées au cinéma mais car elle est emplie
d'idées visuelles toutes plus excellentes les unes que les autres.
Je contextualise. Bart s'échappe et se retrouve dans la geôle où
sont détenus tous les musiciens non-pianistes. Ceux-ci se lancent alors dans un numéro musical présentant tous les instruments du
monde. Mais attention ! Les instruments proposés ne sont pas
ceux de notre monde. Ils sont modifiés, transcendés. Et les
musiciens eux aussi semblent transformés dans ce rêve, ils
fusionnent avec leur outil et deviennent des être hybrides,
mi-hommes, mi-instruments. Les percussionnistes deviennent des
boxeurs qui jouent leur musique avec leurs poings, les saxophonistes
ressemblent aux éléphants roses dans Dumbo, les xylophonistes ont
du inspirer les Monty Pythons tant cela rappelle le sketch de
l'écraseur de souris... Ce grand numéro musical propose plusieurs
scénettes qui font de cette scène une immense chorégraphie en
l'honneur de la Musique. C'est un enchantement auditif et visuel qui
rend hommage à tout ceux dont la Musique est devenu un travail.
Les 5000 Doigts... malgré ses défauts
fait partie de ces œuvres qui tombent bien trop vite dans l'oubli
populaire. A sa sortie les critiques furent belliqueuses, le Dr Seuss
lui-même renia ce film, et pourtant le public suivit et je suis persuadée que dans ce public se trouvait des gens comme Tim Burton ou Terry Gilliam qui, sans le savoir, ont été influencés par ce film.
L'émerveillement face aux idées graphiques, que ce soit les décors
ou les costumes (l'habit que porte le Dr. T. pour l'inauguration),
face à la mise en scène rappelant des chefs-d’œuvres de la
littérature ou du cinéma (Bart qui se sert de son T-shirt pour en
faire un parachute à l'instar d'Alice avec sa robe lorsqu'elle tombe
dans le terrier du lapin blanc par exemple), face à l'absurde de
certaines scènes et de certains dialogues qui est finement
contrebalancé par la poésie et la beauté de l'imaginaire
enfantin... C'est un film à voir au moins une fois dans sa vie car
il insuffle une certaine gaieté dans l'âme et ramène les plus
aigris vers un âge où les choses simples de la vie étaient vues
sous un angle merveilleux.
Et pour les plus sceptiques la musique
est de Frederik Hollander qui a composé les bandes originales de
L'Ange Bleu de Josef von Sternberg avec Marlene Dietrich, le
directeur de la photographie Franz Planer a aussi travaillé sur
Diamants sur Canapé de Blake Edwards et sur 20 000 lieues sous les
Mers de Richard Fleischer.
Il est aussi l'un des films préférés
de Jello Biafra (ancien chanteur des Dead Kennedys), il a inspiré
Matt Groening pour son personnage de Tahiti Bob dont le véritable
nom est Bob Terwiliger et qui est la Némésis de Bart, Mr Bungle a
fait une reprise de la chanson Third Floor Dungeon lors de ses
concerts, et il vient de sortir chez WildSide !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire